Une femme mystérieuse,
Dont la beauté trouble mes sens.
Se tient debout, silencieuse,
Au bord des flots retentissants.
Ses yeux, où le ciel se reflète,
Mêlent à leur azur amer,
Qu’étoile une humide paillette,
Les teintes glauques de la mer.
S
Dans les langueurs de leurs prunelles,
Une grâce triste sourit ;
Les pleurs mouillent les étincelles
Et la lumière s’attendrit ;
Et leurs cils comme des mouettes
Qui rasent le flot aplani,
Palpitent, ailes inquiètes,
Sur leur azur indéfini.
Comme dans l’eau bleue et profonde,
Où dort plus d’un trésor coulé.
On y découvre à travers l’onde
La coupe du roi de
Thulé’.
Sous leur transparence verdàtre,
Brille parmi le goémon,
L’autre perle de
Cléopàtre
Près de l’anneau de
Salomon.
La couronne au gouffre lancée
Dans la ballade de
Schiller,
Sans qu’un plongeur l’ait ramassée,
Y jette encor son reflet clair.
Un pouvoir magique m’entraîne
Vers l’abîme de ce regard,
Comme au sein des eaux la sirène
Attirait
Harald
Harfagar.
Mon âme, avec la violence
D’un irrésistible désir,
Au milieu du gouffre s’élance
Vers l’ombre impossible à saisir.
Montrant son sein, cachant sa queue,
La sirène amoureusement
Fait ondoyer sa blancheur bleue
Sous l’émail vert du flot dormant.
L’eau s’enfle comme une poitrine
Aux soupirs de la passion ;
Le vent, dans sa conque marine,
Murmure une incantation.
«
Oh ! viens dans ma couche de nacre,
Mes bras d’onde t’enlaceront ;
Les flots, perdant leur saveur acre.
Sur ta bouche, en miel couleront.
«
Laissant bruire sur nos têtes,
La mer qui ne peut s’apaiser,
Nous boirons l’oubli des tempêtes
Dans la coupe de mon baiser. »
Ainsi parle la voix humide
De ce regard céruléen,
Et mon cour, sous l’onde perfide,
Se noie et consomme l’hymen.
***
Théophile Gautier – The Poetry Monster
Théophile Gautier (1811-1872) était un écrivain, poète et critique d’art français du 19e siècle. Il est surtout connu pour ses écrits sur le mouvement romantique et son influence sur la littérature française. Ses œuvres les plus célèbres incluent “Mademoiselle de Maupin” et ses poèmes tels que “La Comédie de la Mort”.