On voit dans le
Musée antique,
Sur un lit de marbre sculpté,
Une statue énigmatique
D’une inquiétante beauté.

Est-ce un jeune homme ? est-ce une femme.
Une déesse, ou bien un dieu ?
L’amour, ayant peur d’être infâme.
Hésite et suspend son aveu.

Dans sa pose malicieuse,
Elle s’étend, le dos tourné
Devant la foule curieuse,
Sur son coussin capitonné.

Pour faire sa beauté maudite,
Chaque sexe apporta son don.
Tout homme dit :
C’est
Aphrodite !
Toute femme :
C’est
Cupidon !

Sexe douteux, grâce certaine,
On dirait ce corps indécis
Fondu, dans l’eau de la fontaine,
Sous les baisers de
Salmacis.

Chimère ardente, effort suprême
De l’art et de la volupté,
Monstre charmant, comme je t’aime
Avec ta multiple beauté !

Bien qu’on défende ton approche,
Sous la draperie aux plis droits
Dont le bout à ton pied s’accroche,
Mes yeux ont plongé bien des fois.

Rêve de poëte et d’artiste.
Tu m’as bien des nuits occupé,
Et mon caprice qui persiste
Ne convient pas qu’il s’est trompé.

Mais seulement il se transpose,
Et, passant de la forme au son,
Trouve dans sa métamorphose
La jeune fille et le garçon.

Que tu me plais, ô timbre étrange !
Son double, homme et femme à la fois,
Contralto, bizarre mélange,
Hermaphrodite de la voix !

C’est
Roméo, c’est
Juliette,
Chantant avec un seul gosier ;
Le pigeon rauque et la fauvette
Perchés sur le même rosier ;

C’est la châtelaine qui raille
Son beau page parlant d’amour ;
L’amant au pied de la muraille,
La dame au balcon de sa tour ;

Le papillon, blanche étincelle,
Qu’en ses détours et ses ébats
Poursuit un papillon fidèle.
L’un volant haut et l’autre bas ;

L’ange qui descend et qui monte
Sur l’escalier d’or voltigeant ;
La cloche mêlant dans sa fonte
La voix d’airain, la voix d’argent’ ;

La mélodie et l’harmonie,
Le chant et l’accompagnement ;
A la grâce la force unie,
La maîtresse embrassant l’amant !

Sur le pli de sa jupe assise,
Ce soir, ce sera
Cendrillon*
Causant près du feu qu’elle attise
Avec son ami le grillon ;
n
Demain le valeureux
Arsace
A son courroux donnant l’essor,
Ou
Tancrède avec sa cuirasse,
Son épée et son casque d’or ;

Desdemona chantant le
Saule’,
Zerline bernant
Mazetto,
Ou
Malcolm’ le plaid sur l’épaule ;
C’est toi que j’aime, ô contralto !

Nature charmante et bizarre
Que
Dieu d’un double attrait para,
Toi qui pourrais, comme
Gulnare,
Etre le
Kaled d’un
Lara”

Et dont la voix, dans sa caresse,
Réveillant le cour endormi,
Mêle aux soupirs de la maîtresse
L’accent plus mâle de l’ami !















 

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Poèmes de Théophile Gautier

Théophile Gautier – The Poetry Monster