IMPÊRIA’

Chez un sculpteur, moulée en plâtre,
J’ai vu l’autre jour une main
D’Aspasie ou de
Cléopâtre,
Pur fragment d’un chef-d’ouvre humain

Sous le baiser neigeux saisie
Comme un lis par l’aube argenté,
Comme une blanche poésie
S’épanouissait sa beauté.

Dans l’éclat de sa pâleur mate
Elle étalait sur le velours
Son élégance délicate
Et ses doigts fins aux anneaux lourds.

Une cambrure florentine,
Avec un bel air de fierté,
Faisait, en ligne serpentine,
Onduler son pouce écarté.

A-t-elle joué dans les boucles
Des cheveux lustrés de don
Juan,
Ou sur son caftan d’escarboucles
Peigné la barbe du sultan,

Et tenu, courtisane ou reine,
Entre ses doigts si bien sculptés,
Le sceptre de la souveraine
Ou le sceptre des voluptés ?

Elle a dû, nerveuse et mignonne,
Souvent s’appuyer sur le col
Et sur la croupe de lionne
De sa chimère prise au vol.

Impériales fantaisies,
Amour des somptuosités ;
Voluptueuses frénésies,
Rêves d’impossibilités,

Romans extravagants, poèmes
De haschisch et de vin du
Rhin,
Courses folles dans les bohèmes
Sur le dos des coursiers sans frein ;

On voit tout cela dans les lignes
De cette paume, livre blanc

Vénus a tracé des signes
Que l’amour ne lit qu’en tremblant.














 

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Poèmes de Théophile Gautier

Théophile Gautier – The Poetry Monster