par François Boddaert
Mes vers sont des tombeaux Unit brodés de sculptures Ils cachent un cadavre…
La Comédie de la Mon
Le 9 mars 1867, dans sa tentative autobiographique de L’Illustration, Théophile Gautier raconte:
La mort est amère
A qui vécut trop doucement.
Théophile Gautier incarne le Romantisme absolu – cette posture existentielle qui n’est pas seulement la passion « gothique », la recherche excessivement dandie du Beau, un net plaisir à la provocation, ou le penchant pour les macérations psychiques (qui, du côté des jeunes filles, deviendra la « délectation morose »). Il est tout cela, plus une fidélité intraitable et joyeuse à Thanatos. Là, il rencontre certainement Baudelaire, et le poète splénétique descendra jusque dans une charogne pour mieux saluer son maître « es langue française », marquant ainsi cette filiation qui n’a pas fini d’étonner ceux qui n’ont pas (ou maL) lu Théophile Gautier. Lequel a tôt reniflé la parfum de sa mort, et parle dès lors comme un autre Lazare – du fond de sa juvénile initiation. Mais passée la fascination esthétique pour « cette ordure », Baudelaire appréhende la mort comme une plongée dans l’Inconnu où il espère « trouver du nouveau ». Il n’est plus dans la transmutation du laid (avec renvoi à la préface hugolienne de CromwetT) mais dans l’illusoire consolation d’un au-delà auquel son maître, lui, ne croit pas. Là est la fosse entre les deux poètes : Baudelaire, méditant morbide-ment sur la dépouille, espère malgré tout ; Gautier a la tête ailleurs. La mort, il l’a reconnue comme la marque d’une rupture définitive, d’un exil sans retour. A cinq ans, séparé de sa terre natale, il refuse le mouvement de la vie et veut passer par la fenêtre : il est à noter que ce grand voyageur ne reviendra qu’une seule fois à Tarbes – et encore sur le tard, comme pour mieux marquer la réalité d’une autre vie, faite à Paris. Ainsi le bannissement va devenir une marque de l’ouvre de Gautier. Mais c’est avec une grave gaieté qu’il va, texte après texte, se trouver des lieux et des hypothèses d’existence où poser un moment son sac. On se remémore alors ces vers de Villon :
Rigueur le transmit en exil
Et lui frappa au cul la pelle…
François Villon, justement. Voici la référence indépassable, et qui enracine le mieux Gautier dans le terreau Moyen Age sur lequel va fleurir sa propre poésie (pour les romans, le siècle de Louis XIII sera le décor favorI). Il a vingt-trois ans lorsqu’il publie son étude sur le testateur voyou. Et ce texte ouvre l’ensemble étonnant des Grotesques : « collection de têtes grimaçantes (…) de difformités littéraires ». Si Villon reste tout de même un poète « du second ordre » (cette exhumation de 1834 va pourtant présider à la réhabilitatioN), la passion rimée pour les femmes, les plaisirs de la table, le jeu. etc., fascinent Gautier. Mais il y trouve quelque chose d’autre à travers quoi il rencontre un frère : « Une des idées qui le préoccupaient le plus, c’est l’idée de la mort. Il ne tarit pas sur ce sujet, et ses réflexions sont toujours hautes et philosophiques, rendues avec une énergie et une précision surprenante. » Alors Gautier imprime subséquemment des pans du Testament placés sous le signe, dit le citateur, du Charnier des Innocents. Quoiqu’il s’agisse là d’une pure hypothèse théophilienne, le risque est infime d’établir une corrélation entre le principe des ballades de Villon et les scènes horrifiques peintes sur les murs de l’ossuaire parisien. La danse macabre du Charnier – Huizinga et Ariès le souligneront – hanta et captiva tout un peuple ; sa renommée fut telle que Guyot Marchant imprima avec grand succès des gravures sur bois, copiées d’après le modèle funéraire, dès 1485. Les pestes, les guerres sont prétextes à cette manie iconographique qui va couvrir les murs des églises du XV siècle de chorégraphies mortifiantes. Cependant, ces représentations n’extériorisent pas une dévotion inquiète devant le trépas. Elles peuvent bien vouloir signifier l’égalité devant la tombe, comme les médiévistes l’ont expliqué, puisque le pape, l’Empereur autant que le laboureur sont entraînés vers elle, chacun flanqué de son double squelettique, et qui ressemble au double de l’autre. C’est entendu. Mais ces fresques veulent montrer surtout la brutale et réaliste défiance d’un avenir paradisiaque pour l’homme : elles stigmatisent la mensongère promesse chrétienne d’un au-delà auquel on commence à ne plus croire. Le rituel ei la plastique des témoignages qui nous restent (La Chaise-Dieu, Kermaria, Meslay le Grenet, La Ferté-Louptière…) sont preuves d’une transmutation du laid (le cadavre pourrissanT) en beau (la représentation artistique de la vie mortelle en mouvemenT), par le biais d’une mise en scène étourdissante, d’une dérision qui sidère et ne répugne plus. Reconnaissani cela chez Villon, et le saluant, Gautier adhère à la préface de Cromwell où Hugo affirme justement : « Le grotesque est, selon nous, la plus riche source que la nature puisse ouvrir à l’art. » Cette déclaration de foi date de décembre 1827 ; trois ans après, Hugo récidive dans Noire-Dame de Paris, et la sublime hideur de Quasimodo. Gautier est maintenant sous la férule du risible. Il s’y maintiendra jusqu’à la fin. Et il y a, dans telles descriptions abusivement effroyables, comme une hypertrophie du sanglant qui prête à sourire. Ce sens de l’exagération, propre à la personnalité de Gautier, est toujours à envisager sous l’angle d’un excès de vie !
On est alors en pleine effervescence Bousingot – Jeune-France ; adepte du gothisme, on ne dit plus escargot mais escargoth, berlingot mais berlingoth et bien sûr, on ne jure plus que par Victor Hugo ! Le grand chic est de boire dans un crâne. Le Figaro, sous la plume de Léon Gozlan – un repenti -, décrit ainsi ces agitateurs : « Le Jeune France est gai, mais d’une gaîté putride. Dans la journée il a vu les Catacombes, le père Lachaise et la chambre des pairs ; il devise sur Montfaucon et le cabinet d’anaiomie ; aux jeunes dames il montre un os et leur dit : “Vous en avez autant sous vos gazes et vos mousselines.Ainsi vous marchez toujours en compagnie d’une (siC) squelette, vous avez la mort sous vos jupes : voyons la mort !” » Puisqu’il est, avec Jehan du Seigneur, le vibrion de l’équipe, c’est donc de bonne grâce que Gautier s’emploie à versifier le cadavre. Cela lui plaît : pas seulement pour choquer (la préface de Mademoiselle de Maupin, contemporaine des premiers poèmes, est un joyeux cri de guerre contre la morale des bourgeois, ces néants fluides…) mais parce que la mort lui est familière, on l’a vu à la lumière de sa suicidaire pensée enfantine. Il la guette donc sans effroi – d’autant plus qu’il n’en attend rien que le néant :
présent, jeune encore, mais certain que noire âme,
Inexplicable essence, insaisissable flamme.
Une fois exhalée, en nous tout est néant,
F.i que rien ne ressort de l’abîme béant
Où vont, tristes jouets du temps, nos destinées..
Comme au cours des ruisseaux les feuilles entraînées,
Sans peur je la regarde…
(La Tété de mort)
Paroles d’incroyant s’il en est, et audace véritable pour l’époque que d’affirmer si nettement sa posture ! Il faudra attendre Rimbaud pour ouïr à nouveau une aussi ferme el libre parole. Ainsi, armé de bonne heure de la certitude que tout se joue ici même, Gautier est mûr pour rimer son credo. Ce sera la Comédie de la Mort, vaste épopée lyrico-burlesque d’environ 1500 vers, conçue comme une danse macabre. Dès le « Portail », on y lit que « La Mort fait la coquette et prend un ton de reine… » La camarde n’est pas la froide et implacable faucheuse ; elle est un avatar de la féminité, certes tragique mais non dramatique : « …Et son front seulement sous ses cheveux d’ébène, / Comme un charme de plus, garde un peu de pâleur. » Elle reste, in fine, une créature aimable voire désirable, quoiqu’à regret. Une femme dont le commerce est inévitable, et qu’il faut bien prendre du bon côté ! On pense, évidemment, à ce qu’écrira Bataille sur la question, dans l’Erotisme *, car Gautier va sans cesse conjuguer la disparition purulente du cadavre et la continuité du cercle vital incarnée par le ver. La mort est donc une femme qui, d’une vie qu’elle prend en crée une autre. Cette banalité positive ne l’était pas tant en plein Romantisme. Le poète affranchi pousse la marque de sa décontraction en faisant dialoguer dans la seconde partie de son poème – « La vie dans la mort » – un ver et sa cliente trépassée : Gautier n’y va pas de main morte en rimant une véritable scène amoureuse entre le charognard et la jeune vierge qui va connaître enfin le plaisir physique !
A moi les bras d’ivoire, à moi ta gorge blanche,
A moi tes flancs polis avec ta belle hanche
A l’ondoyant contour…
C’est ensuite l’archange Raphaël qui regrette les temps anciens où les artistes savaient « rendre saintement la beauté de la femme », et s’écrie, à la fin, « Le genre humain est mort ! », après avoir affirmé :
Le Christ est mort, le siècle a pour Dieu la science,
Pour foi la liberté.
La troisième partie de l’épopée macabre – « I.a Mort dans la vie » est construite sur les modèles virgilien et dantesque : c’est une errance en compagnie d’« une vierge au teint pâle », parmi les « fantômes ».
Théophile Gautier – The Poetry Monster
Théophile Gautier (1811-1872) était un écrivain, poète et critique d’art français du 19e siècle. Il est surtout connu pour ses écrits sur le mouvement romantique et son influence sur la littérature française. Ses œuvres les plus célèbres incluent “Mademoiselle de Maupin” et ses poèmes tels que “La Comédie de la Mort”.