Ne trouve pas étrange, homme du monde, artiste,
Qui que tu sois, de voir par un portail si triste
S’ouvrir fatalement ce volume nouveau.
Hélas ! tout monument qui dresse au ciel son faîte
Enfonce autant les pieds qu’il élève la tête.
Avant de s’élancer, tout clocher est caveau :
En bas, l’oiseau de nuit, l’ombre humide des tombes ;
En haut, l’or du soleil, la neige des colombes,
Des cloches et des chants sur chaque soliveau ;
En haut, les minarets et les rosaces frêles.
Où les petits oiseaux s’enchevêtrent les ailes,
Les anges accoudés portant des écussons,
L’acanthe et le lotus ouvrant sa fleur de pierre
Comme un lis séraphique au jardin de lumière ;
En bas, l’arc surbaissé, les lourds piliers saxons,
Les chevaliers couchés de leur long, les mains jointes,
Le regard sur la voûte et les deux pieds en pointes,
L’eau qui suinte et tombe avec de sourds frissons.
Mon ouvre est ainsi faite, et sa première assise
N’est qu’une dalle étroite et d’une teinte grise
Avec des mots sculptés que la mousse remplit.
Dieu fasse qu’en passant sur cette pauvre pierre,
Les pieds des pèlerins n’effacent pas entière
Cette humble inscription et ce nom qu’on y lit.
Pâles ombres des morts, j’ai pour vos promenades
Filé patiemment la pierre en colonnades ;
Dans mon
Campo-Santo je vous ai fait un lit !
Vous avez près de vous, pour compagnon fidèle,
Un ange qui vous fait un rideau de son aile,
Un oreiller de marbre et des robes de plomb.
Dans le jaspe menteur de vos tombes royales,
On voit s’entre-baiser les sours théologales
Avec leur auréole et leur vêtement long.
De beaux enfants tout nus, baissant leur torche éteinte,
Poussent autour de vous leur éternelle plainte ;
Un lévrier sculpté vous lèche le talon.
L’arabesque fantasque après les colonnettes
Enlace ses rameaux et suspend ses clochettes,
Comme après l’espalier fait une vigne en fleur.
Aux reflets des vitraux la tombe réjouie,
Sous cette floraison toujours épanouie,
D’un air doux et charmant sourit à la douleur.
La
Mort fait la coquette et prend un ton de reine,
Et son front seulement sous ses cheveux d’ébène,
Comme un charme de plus, garde un peu de pâleur.
Les émaux les plus vifs scintillent sur les armes,
L’albâtre s’attendrit et fond en blanches larmes,
Le bronze semble avoir perdu sa dureté.
Dans leurs lits les époux sont arrangés par couples,
Leurs têtes font ployer les coussins doux et souples,
Et leur beauté fleurit dans le marbre sculpté.
Ce ne sont que festons, dentelles et couronnes,
Trèfles et pendentifs et groupes de colonnes
Où rit la fantaisie en toute liberté.
Aussi bien qu’un tombeau, c’est un lit de parade,
C’est un trône, un autel, un buffet, une estrade ;
C’est tout ce que l’on veut selon ce qu’on y voit.
Mais pourtant si. poussé de quelque vain caprice,
Dans la nef, vers minuit, par la lune propice,
Vous alliez soulever le couvercle du doigt,
Toujours vous trouveriez, sous cette architecture,
Au milieu de la fange et de la pourriture,
Dans le suaire usé, le cadavre tout droit,
Hideusement verdi, sans rayon de lumière,
Sans flamme intérieure illuminant la bière,
Ainsi que l’on en voit dans les
Christs aux tombeaux.
Entre ses maigres bras, comme une tendre épouse,
La
Mort les tient
Serrés sur sa couche jalouse
Et ne lâcherait pas un seul de leurs lambeaux.
A peine au dernier jour lèveront-ils la tête
Quand les deux trembleront au cri de la trompette
Et qu’un vent inconnu soufflera les flambeaux.
Après le jugement, l’ange, en faisant sa ronde,
Retrouvera leurs os sur les débris du monde ;
Car aucun de ceux-là ne doit ressusciter.
Le
Christ lui-même irait, comme il fit au
Lazare,
Leur dire : «
Levez-vous ! » que le sépulcre avare
Ne s’entr’ouvrirait pas pour les laisser monter.
Mes vers sont les tombeaux tout brodés de sculpture ;
Ils cachent un cadavre, et sous leurs fioritures
Ils pleurent bien souvent en paraissant chanter.
Chacun est le cercueil d’une illusion morte ;
J’enterre là les corps que la houle m’apporte
Quand un de mes vaisseaux a sombré dans la mer :
Beaux rêves avortés, ambitions déçues,
Souterraines ardeurs, passions sans issues,
Tout ce que l’existence a d’intime et d’amer.
L’Océan tous les jours me dévore un navire ;
Un récif, près du bord, de sa pointe déchire
Leurs flancs doublés de cuivre et leur quille de fer.
Combien j’en ai lancé, plein d’ivresse et de joie,
Si beaux et si coquets sous leurs flammes de soie.
Que jamais dans le port mes yeux ne reverront !
Quels passagers charmants, têtes fraîches et rondes,
Désirs aux seins gonfles, espoirs, chimères blondes !
Que d’enfants de mon cour entassés sur le pont !
Le flot a tout couvert de son linceul verdâtre,
Et les rougeurs de rose, et les pâleurs d’albâtre,
Et l’étoile et la fleur éclose à chaque front.
Le flux jette à la côte, entre le corps du phoque
Et les débris de mâts que la vague entre-choque,
Mes rêves naufragés tout gonflés et tout verts ;
Pour ces chercheurs d’un monde étrange et magnifique,
Colombs qui n’ont pas su trouver leur
Amérique,
En funèbres caveaux creusez-vous, ô mes vers !
Puis montez hardiment comme les cathédrales,
Allongez-vous en tours, tordez-vous en spirales, enfoncez vos pignons au cour des deux ouverts.
Vous, oiseaux de l’amour et de la fantaisie,
Sonnets, ô blancs ramiers du ciel de poésie,
Posez votre pied rose au toit de mon clocher.
Messagères d’avril, petites hirondelles,
Ne fouettez pas ainsi les vitres à coups d’ailes !
J’ai dans mes bas-reliefs des trous où vous nicher ;
Mes vierges vous prendront dans un pli de leur robe,
L’empereur toufexprès laissera choir son globe,
Le lotus ouvrira son cour pour vous cacher.
J’ai brodé mes réseaux des dessins les plus riches,
Evidé mes piliers, mis des saints dans mes niches.
Posé mon buffet d’orgue et peint ma voûte en bleu.
J’ai prié saint
Eloi de me faire un calice ;
Le roi mage
Gaspard, pour le saint sacrifice.
M’a donné le cinname et le charbon de feu.
Le peuple est à genoux, le chapelain s’affuble
Du brocart radieux de la lourde chasuble ;
L’église est toute prête ; y viendrez-vous, mon
Dieu ?
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Théophile Gautier – The Poetry Monster
Théophile Gautier (1811-1872) était un écrivain, poète et critique d’art français du 19e siècle. Il est surtout connu pour ses écrits sur le mouvement romantique et son influence sur la littérature française. Ses œuvres les plus célèbres incluent “Mademoiselle de Maupin” et ses poèmes tels que “La Comédie de la Mort”.